Trésor d'archives : le compoix
Quand apparaissent les premiers compoix ?
La réalisation des compoix est l'une des conséquences du rattachement du Languedoc au domaine royal à partir de 1229. A la fin du XIIIe siècle, la pression fiscale augmente pour financer les différentes guerres. La fiscalité royale est alors basée sur le caractère exceptionnel et temporaire des impôts. La somme globale demandée par le Roi est discutée par les Etats qui la répartissent en fonction du nombre de feux taillables, c'est-à-dire le nombre de foyers imposables, dans chaque localité. Localement, des magistrats, nommés édiles, peuvent demander un allègement de la taille. Face à l'augmentation de ces perceptions, les communes doivent justifier plusieurs éléments : quelles personnes doivent contribuer, pour quel montant et pour quelles raisons.
On observe donc la généralisation d'un système de prélèvement des impôts directs, les tailles, fondé sur la prise en compte des fortunes immobilières et mobilières. Le premier compoix languedocien est celui de Agde vers 1320. Les compoix se généralisent dès 1350 dans le Languedoc, ils ne se diffusent pas au Nord du royaume de France.
Y a-t-il plusieurs sortes de compoix ?
Aux archives, on distingue trois types de compoix :
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Les estimes fixent les revenus imposables. Ils sont rédigés par une commission, le collège des tailhadors, grâce à une enquête et des déclarations sous serments.
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Les compoix fonciers dits cadastres s'accompagnent systématiquement d'une levée topographique, même partielle, avec une estimation de la valeur des biens. Ces derniers deviennent de plus en plus fréquents à partir de la fin du XVe siècle en même temps que les dernières estimes.
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Les compoix cabalistes enregistrent les possessions mobilières.
Les compoix sont abrégés en brevettes, commandées en même temps que les nouveaux compoix au XVIIIe siècle. De plus, ils servent également de base pour les réparats, des matrices rédigées à partir d'anciens compoix, sans arpentage ni nouvelle estimation quant à la valeur des terres. Un greffier actualise le nom des propriétaires et l'impôt de chacun.
Quel est l'intérêt du compoix pour les communes ?
Cet outil fiscal a pour objectif d'évaluer les fortunes foncières pour répartir plus équitablement les impôts entre les habitants de la commune.
En effet, avant l'utilisation du compoix, la taille communale est un impôt de quotité levé par tête, cela signifie que chacun payait la même somme quel que soit son revenu et la taille royale. Le compoix permet de faire payer les tailles "à sol et à livre" c'est-à-dire proportionnellement à la richesse des déclarants. Les plus pauvres sont exemptés et n'apparaissent généralement pas dans ces documents.
D'abord, le compoix identifie les propriétaires de chacune des parcelles, dresse leur état-civil et leur état juridique. Ensuite, il liste les revenus générés par ces parcelles. Enfin, il répartit la charge fiscale imposée par l'Etat entre les habitants imposables mais également entre les communes en fonction de leur richesse. On appelle aujourd'hui ce système le "système de péréquation".
Comment est rédigé un compoix ?
D'abord, les Etats provinciaux délibèrent sur le montant de la taille, appelé brevet. Ensuite l'assemblée des trois ordres (clergé, noblesse et tiers-état) du Languedoc répartit cette somme entre les diocèses civils. Le montant attribué à chacun est appelé tarif. Chaque diocèse réunit donc une assemblée, l'Assiette, qui est chargée de répartir l'impôt entre les communautés par le biais d'un tarif diocésain. A l'échelle locale, un conseil des habitants reçoit la mande, c'est-à-dire une lettre de l'Assiette diocésaine informant de la somme due par la municipalité. Cette somme que doit verser la communauté comprend non seulement la taille, mais aussi les frais de fonctionnement de l'Assemblée des trois ordres et ceux de chaque intermédiaire.
Afin de bien répartir l'impôt, la communauté s'appuie sur un compoix déjà rédigé ou en commande un autre. Dès le XVIe siècle, les agents cadastraux, auteurs des compoix, accompagnés d'un scribe se rendent sur place et arpentent les terrains. L'évaluation des parcelles se fait en "livres cadastrales", cette unité ne correspond pas aux livres réelles. Il est nécessaire de rapporter ces données à une matrice cadastrale pour obtenir la dimension réelle des parcelles.
Les compoix de Mauguio
Deux compoix de Mauguio réalisés entre le XVIe et le XVIIe siècle sont conservés aux Archives Départementales de l'Hérault. Le premier est daté de 1596 et le second, rédigé en 1653 et complété en 1674. Ce dernier est plus original. En effet, c'est un compoix dit "orné". Le corps du texte est illustré de diverses manières : lettrines d'une ou des initiales du nom d'un propriétaire, dessin dans les marges... On peut retrouver plus particulièrement des dessins à l'encre parfois rehaussés de rouge représentant des personnages féminins et masculins (homme fumant la pipe, dame avec un collier, moine, homme à deux têtes, Christ en croix, mains gantées), des animaux (renard, aigle à deux têtes, martin pêcheur), des objets (bâteau, croix, chaussure), une chapelle ainsi que des armoiries.
Les illustrations de ce document ont plusieurs visées. Outre l'aspect esthétique et la volonté de réaliser un "beau compoix", elles mettent en valeur le travail de l'équipe cadastrale dont la réputation est ainsi améliorée auprès des communes voisines réalisant également des cadastres.
Il est possible de consulter ces documents sur le site des archives départementales de l'Hérault dans la partie des archives déposées de Mauguio (1458-1874).
Présentation d'un compoix à travers l'exemple de Mauguio
Dès le XVIIe siècle, les compoix présentent trois caractéristiques graphiques qui se généralisent et que l'on peut retrouver dans le compoix de 1653 :
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Un volume épais mais de format maniable, pensé pour être fréquemment consulté.
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Une présentation aérée avec peu d'items sur chaque page, deux à quatre, afin d'identifier aisément les contribuables et éviter d'éventuelles confusions.
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Des marges larges et de nombreuses pages laissées blanches pour permettre l'actualisation des mutations foncières.
Ainsi, les usuels du compoix de 1653 sont divisés en trois tomes. Outre les ornements, ils présentent à plusieurs endroits des ratures et des annotations dans les marges.
La matrice du compoix, présentée dans un volume à part, a été complétée jusqu'en 1674. Les matrices cadastrales se structurent au XVIIe siècle selon un plan visible dans notre document :
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Le préambule qui relate les étapes administratives et de terrain des opérations cadastrales.
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L'index des propriétaires et des lieux dans l'ordre des patronymes.
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Le corps du compoix qui indique la liste des parcelles dites "taillables".
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Une conclusion qui rappelle le montant dû de l'ensemble de la communauté.
Description d'un item du compoix © Association Acanthe
Ici, les index et le corps du compoix sont réunis. Le document liste les propriétaires en faisant une description détaillée des terres imposables pour chacun. Ceux-ci ne sont pas classés dans l'ordre alphabétique des patronymes mais dans un ordre géographique en fonction de l'emplacement du domicile du propriétaire. Cependant, les parcelles dont les propriétaires ne résident pas dans la ville sont recensées dans un compoix dit "forain". Les parcelles sont de deux genres : les biens nobles et non-nobles. Parmi ces deux genres, seuls les biens non-nobles ne sont pas soumis à la taille. De ce fait, un noble possédant des biens réputés non-nobles a pour obligation de payer la taille alors qu'un roturier possédant des biens réputés nobles ne la paiera pas.
Les matrices sont régulièrement complétées par un cahier des "biens nobles" qui ne sont pas soumis au même impôt. En effet, les propriétaires de ces biens peuvent payer trois types d'impôts :
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La rançon du Roi
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Le rachat de terres à unir au domaine royal, c'est-à-dire à la Couronne
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L'impôt local
A vous de jouer : La déclaration des biens de Marguerite Poussade
La lecture du compoix peut être un travail fastidieux. En effet il faut déchiffrer le texte avant de le transcrire (copier très exactement un texte) puis en faire la traduction selon des termes actuels. En cliquant ici, vous pouvez consulter un extrait du premier tome du compoix disponible ici à la vue 11.
Il s'agit de la déclaration des biens de damoiselle Marguerite Poussade. Saurez-vous déchiffrer le premier item et compléter les éléments manquants ?
Les biens de damoiselle Marguerite Poussade
Premièrement, un ________ d'une superficie de 1 sétérée et demi et de 7 dextrées qui confronte :
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Au Levant (à l'Est) les biens d'Etienne Rossel et de François Cielle
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Au Midi (au Sud) la chapelle ________-_________
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Au Couchant (à l'Ouest) les biens de Michel Bosc
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Au Nord la carreire (c'est-à-dire la rue) de la Tintaine
Il est estimé à _______ sols et _______ deniers.
En cliquant ici, vous pouvez voir la réponse.
Intérêt historique et héritage des compoix
Conservé aux archives parmi des documents anciens, le compoix est étudié par les historiens. L'étude des différents compoix d'une même commune permet par exemple d'observer l'évolution des fortunes foncières et leur répartition ainsi que la pression fiscale imposée aux populations dans le temps. En outre, la lecture attentive des compoix permet de retracer les limites des communes et de reconstituer les paysages anciens.
Pour en savoir plus sur les compoix de Mauguio
Les compoix de Mauguio ont plus particulièrement été étudiés par Michel Manileve dans l'ouvrage Mauguio et son vieux compoix ou la forêt généalogique de Malguelh disponible à la médiathèque Gaston Baissette de Mauguio..
En voici le descriptif :
"Ce livre est le résultat d'un relevé quasi systématique de plus de six mille articles sur mille folios, composant les deux tomes du compoix de Mauguio (Hérault) de 1594. Vous y retrouverez un inventaire des toponymes, rues et chemins, accompagné d'un répertoire des propriétaires, avec un résumé de leurs biens, leurs blasons quand ils en possédaient et une notice généalogique pour la plupart d'entre eux."